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3 juin 2011 5 03 /06 /juin /2011 22:11

 

Tout le monde semble avoir un avis et l'avoir exprimé.

 

Pourquoi ai-je pourtant cette impression désagréable que personne ne voit le seul problème intéressant qui se pose depuis le début de cette affaire ? 

 

Toutes les vérités que l’on nous assène tombent à plat quel que soit le bord de celui qui les avance :  

 

« C’est un complot »

 « Il n’y a pas de fumée sans feu »

« La presse française est complice pour s’être tue sur la personnalité de Dominique Strauss-Kahn, qu’elle connaissait depuis longtemps »

« Le système judiciaire et médiatique américain est indécent »

« C’est un lynchage médiatique planétaire »

« Un homme politique doit être un exemple »

« On fait plus de cas de lui que de la victime »

 

Et même celle qui devrait me toucher tout particulièrement :

« La présomption d’innocence »

 

On s'en fout de ce type… Le problème n’est pas là.

 

Ce n’est pas l’émetteur de l'information ou le contenu de l’émission qui devraient retenir l’attention, mais les récepteurs que nous sommes.

 

De notre honnêteté.

 

L’homme est intelligent, quand il est seul. En foule, il cesse d'un seul coup de penser : il réagit collectivement, il vibre de tout, il se contente d’un rien.

 

La foule est « sentimentale », mais ce ne sont que des sentiments viscéraux, binaires, manichéens. Effrayants.

 

L’homme de masse n’aime pas les hommes politiques, comme il n’aime pas les patrons, les vedettes à succès, les gens riches. Il n’aime ni l’autorité ni la réussite. Il tolère les pouvoirs que ces gens ont sur lui car il n’a pas le choix, mais ces piédestaux sont autant de provocations qui le renvoient à sa condition ordinaire.

 

Quand un sondage révèle que « l’homme politique doit être exemplaire pour 95% des sondés », cela ne signifie pas que ces citoyens souhaiteraient des hommes exemplaires, qu’ils rêveraient d’admirer et de suivre. Ils posent bien plutôt une règle qu’ils se réjouissent secrètement de voir bafouée.

 

A grands pouvoirs, grandes responsabilités. C'est dans l'aspect incontestable de la règle, majeure parfaite du syllogisme, que nos instincts les plus mauvais trouvent leur légitimité.

 

L’incontestable devoir d'exemplarité donne le droit à tout un chacun de châtier le puissant et de le blasphémer,au premier de ses faux pas.

 

C’est une vengeance du faible sur le fort. C'est sa seule jouissance.

 

L’anonyme devient soudain le juge et le bourreau. Sa sentence est cautionnée par la multitude, par les médias et par une idée en vogue de la morale.

 

Si tel n’était pas le cas, on ne parlerait pas de ce DSK.


Quant à la victime, on s’en ficherait complètement puisque jusqu’à droit jugé, aucune personne ne saurait se proclamer comme telle.

 

On ne se demanderait pas si « on a la conviction qu’il est coupable ou innocent », comme certains téléspectateurs devant un match de foot commentent ce qu’ils auraient fait à la place du joueur qui vient de rater une passe.

 

On ralentit tous devant un accident, en espérant voir un blessé. On regarde tous un Grand Prix de Formule 1 avec plus d'intérêt quand il pleut sur le circuit.

 

On est berk !

Dans son livre « Les fourmis », Bernard Werber évoque le « penser autrement » : comment faire quatre triangles avec six allumettes ? Ça paraît impossible jusqu’à ce que l’on songe à poser trois allumettes en triangle et les trois autres en pyramide, en tenant son sommet dans les doigts.

 

Ce qui me dérange, c’est tout ce qui apparaît « naturel dans un premier temps ». On est tous comme ça, à le sentir ressurgir des tréfonds de notre cerveau reptilien. C’est notre « erreur humaine », qui ne devient diabolique que quand on y persiste. Et lorsque nous sommes en groupe, nous persistons allègrement à penser comme « dans le premier temps », avec ce que nous dictaient nos tripes.

 

Il est « naturel dans un premier temps » d’être raciste racisme et homophobe car personne n’aime « dans un premier temps » ce qui est différent.

 

Un tube du top 50 a pour caractéristique d'entrer immédiatement dans l'oreille et la mémoire, comme si on le connaissait depuis toujours. Les mélodies de la musique classique, avec leurs phrases plus longues, leurs harmonies et leurs rythmes plus complexes, mettent plus de temps à pouvoir être anticipées, chantonnées et appréciées. Elles se conquièrent et se méritent. L'intensité du plaisir est alors décuplée, mais elle ne vient pas naturellement. On n'aime que ce qu'on connaît et ce qui ne tient pas du "naturel", de l'inné, de l'instinctif nécessite un effort de volonté. On pourrait multiplier les exemples: ce qu'on ingère aussi peut devenir une véritable passion, pour peu qu'on ait surmonté un premier recul du naturel (les huîtres, le caviar, le vin, etc.). On pense encore à certaines choses du sexe, si peu "naturelles" elles aussi qu'elles transcendent les rapports qu'on avait, adolescents, lorsqu'on se met à en jouir. Nul besoin de penser à la fellation ou à la sodomie... Ne serait-ce que "l'art du baiser", qui regroupe en une seule locution deux aspects propres à l'humain - l'art et le baiser - qui sont tout sauf des comportements naturels. Non, les animaux ne sont jamais des artistes et ils embrassent très mal !

 

Qu'il est ainsi affreusement « naturel dans un premier temps » de prôner la peine de mort, car la vengeance fait partie de nos sentiments originels...

 

Mais l’homme seul, en contact avec la différence ou avec une réalité plus subtile qu’il ne le pensait (pas), ne peut que devenir nuancé, car sa raison le lui permet et parce que l’intelligence c’est « comprendre », c’est-à-dire saisir (-prendre) l’ensemble des circonstances (com-) pour en tirer des conclusions sensées.

 

Ça n’arrivera jamais à l'échelle d'un peuple. Jamais une foule ne sera intelligente. Elle restera l’addition confondue d’ex-individus formant d’un coup un Léviathan à la pensée unique.

 

Les événements les plus stupides ont presque toujours été commis par des peuples entraînés par le seul effet de groupe : le racisme, les lynchages, le hooliganisme et même l’approbation ou le refus de lois que personne ne comprend.

 

Je me rappelle d'une étude de sociologie menée aux Etats-Unis. On mettait autour d'une table des "jurés" dont la mission était de fixer des dommages-intérêts pour une victime de la route. C'était hallucinant de constater qu'il suffisait de mettre à certains un brassard de couleur autour du cou pour que l'effet d'appartenance à un groupe divise ou multiplie par dix les montants alloués.

 

Voyez aussi ces supporters d'équipes nationales, souvent composées de transfuges d'autres clubs et n'ayant de national que leurs couleurs. Quelle ferveur de tout un peuple, qui palpite comme un seul cœur, au point d'en pleurer lors d'un but ou de s'entretuer après une défaite, tout cela grâce à la seule couleur d'un maillot qu'on a décidé de faire sienne !

 

Rousseau pensait déjà que la démocratie et l’égalité ne sont que l’opium du peuple, contraires à l’ordre naturel des choses. Il écrivait : « S'il y avait un peuple de dieux, il se gouvernerait démocratiquement. Un gouvernement si parfait ne convient pas à des hommes. »

 

Alors, que les analystes qui, eux, devraient faire preuve d’intelligence, ne viennent pas nous rappeler que l’on attendait d’un DSK qu’il fût exemplaire.

 

Qu’ils admettent au moins, ces porte-parole de la bien-pensance, que l’on attendait au contraire que DSK, comme tous les autres, accomplissent des actes que l’on pourrait, pour notre plus grand plaisir, considérer comme infâmes.

 

Ce sont nos jeux du cirque.

 

Que l’on fasse partie de ceux qui baissent le pouce pour qu’on achève la bête ou qui le lèvent pour la gracier, reconnaissons que notre jouissance ne provient pas de la faute commise et de la punition qu’elle appelle, mais bien de la puissance que nous procure ce mouvement du pouce, ce mouvement si primaire, si arbitraire et si jouissif, qui inverse les rôles l’espace d’un instant.

 

Les chrétiens de nos arènes sont autant de « juge Burgaud », de « Bernard Tapie », de « Dominique Baudis », de « Richard Nixon », de « Bill Clinton », de « Elisabeth Kopp », de « Bertrand Cantat », de « Michael Jackson », de « DSK ». Qu’ils soient coupables ou non ne relève que de l’anecdote : une culpabilité reconnue par un tribunal ne fait que cautionner définitivement le droit de lâcher les chiens, que nous sommes tous lorsque nous sommes en meute.

 

 

 

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