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2 juin 2011 4 02 /06 /juin /2011 23:00

Une page s’est tournée et une belle aventure, vieille de 2001, s’est terminée un peu brutalement, vendredi passé 20 août 2005.

1121134M.jpgJ’avais mis en vente mon Robin Aiglon, le HB-EYP, au profit d’un Piper Comanche que je viens d’acquérir.

Je viens surtout de me rendre compte à quel point une relation particulière se noue entre un pilote et son avion et à quel point il peut être déchirant de se séparer d’une machine, même quand, comme moi, on n’a jamais été particulièrement attiré par les "choses".

Mais cet Aiglon a été mon premier avion. Je l’avais baptisé "Papa Charly", en mémoire de mon père, qui aurait aimé voler avec moi, comme il aimait le faire en planeur il y a une vingtaine d’années. Je l’avais fait décorer par ces désormais fameuses gouttes bleues et blanches et avait faire refaire l’entier de l’intérieur.

Depuis, nous avons passé presque mille heure ensemble, à parcourir l’Europe et l’Afrique, parfois en compagnie de certains d’entre vous.

J’ai toutefois dû me faire peu à peu à l’idée de m’en séparer : les 1.900 heures moteur qu’il accusait gentiment me forçaient au choix douloureux d’investir dans une révision générale ou à revendre l’avion avant que le moteur ne lâche.

Je pensais m’être fait à l’idée. Mais il y a eu vendredi...

Le vendredi dernier 19 août, j'avais donc programmé deux vols : le premier à 10h30 à bord du Papa Charly, avec un pilote intéressé à l'acheter. Le second, à 11h30 avec le Comanche, devait m'amener à Sion, en compagnie d'un ami, pour un repas au restaurant de l'aéroport.

Les deux avions étaient depuis quelques jours parqués à Genève sur le parking Tango, juste à côté du hangar H2, l’un à côté de l’autre.

Je trouvais d'ailleurs cette promiscuité marrante, voir ma "flotte" ainsi étalée. Bêtement flatté, quoi.

Ben pas lui... visiblement. Il n'a pas dû aimer ça, le Papa Charly. Mais alors pas du tout !

Suis-je devenu fou, comme le propriétaire de la voiture "Christine" dans le film de Carpenter, ou un avion peut-il vraiment être jaloux, ou triste, au point de se laisser mourir de chagrin ? La suite est troublante…

Je présente l'Aiglon au monsieur de 10h30, tout charmé tout plein par l'avion "blanc-et-bleu-avec-des-gouttes" et par mes récits de voyages, au cours desquels le Papa Charly a toujours été d'une fidélité touchante, y compris dans des situations difficiles, d’ailleurs jusqu’à récemment identique à la mienne à son égard.

Décollage à 10h45 pour un petit vol local de démonstration Genève - Nyon – Thonon - SE.

Mon copilote avait les commandes. Il était émerveillé par la stabilité et la gentillesse de mon vieux copain de voyage. Passé Novembre, je demande à Genève de croiser les axes et couper sur Echo. A peine l'autorisation accordée, le régime du moteur me paraît tout à coup sensiblement fluctuant. J'enrichis complètement, enclenche la pompe électrique, change de réservoir, essaie les magnétos. Rien ! De pire en pire, en fait : le bruit devient désagréablement métallique, accompagné de vibrations de plus en plus fortes. Je reprends alors les commandes et fait demi-tour vers la rive vaudoise.

Je checke les instruments moteurs : argh ! Pression d'huile à 0 et voyant allumé ! Et la température qui monte sensiblement...

C'est donc grave.

J'annonce à Genève que je vais devoir envisager un atterrissage d'urgence mais que Prangins (LSGP) est à portée de vol plané.

Après en avoir obtenu la fréquence et m’être assuré de passer les arbres et d’atteindre la piste en plané, j'étouffe le moteur et je coupe tout (magnétos, réservoirs, pompe) : même au ralenti, le bruit de biellage devenait en effet à ce point inquiétant que je me suis mis à me faire des films, genre film d’épouvante avec le moteur qui se désolidarise de l'avion et le centre de gravité qui file dans la queue...

J'explique à mon passager, avec un détachement que j'espérais aussi amusé que convaincant, qu'il allait même avoir la chance de constater qu'on pouvait poser une telle machine facilement et avec précision (oui, j'espérais à voix haute...), même sans moteur.

Annonce à Prangins et demande de priorité pour un atterrissage de précaution moteur coupé.

Approche haute et semi directe, grosse glissade en courte finale et toucher au seuil. Je me suis dis que ça valait quand même la peine d’avoir enquiquiné la tour de Sion des dizaines de fois à leur demander des approches en exercice de panne, pour vérifier que ce sacré angle 2 alpha se trouvait toujours en prolongement des rivets derrière le réservoir…

Monsieur Stercki, le rétif dinosaure de Prangins, vient nous chercher avec sa voiture et attache une corde à l’avion pour le remorquer jusqu’au parking.

Il ne manque pas une goutte d’huile mais une grosse fumée s’échappe déjà par la jauge.

Stercki me dit, énervé comme toujours ("ça-fait-40-ans-que-je-fais-ça-et- je-sais-quand-même-ce-que-je-dis" !), que s’il ne manque pas d’huile, c’est donc le voyant qui déconne. Je lui répond, encore plus énervé, que même con comme je suis, j’ai 1000 heures de vol sur cet avion et qu’un bruit pareil, avec une perte de puissance, c’est pas "le voyant qui déconne" ! Après réflexion, il revient à l’avion et me donne une nouvelle explication sur les segments ou l’arbre à came, qui ont finalement peut-être bien lâché.

Le Papa Charly ne revolera donc plus, en tout cas avant qu’on lui ait greffé un nouveau moteur.

La suite est ambiguë. On peut la voir drôle ou triste, c’est selon.

Elle est drôle si l’on songe qu’il s’agissait d’un vol de démonstration en vue d’un achat, subséquent à mes louanges dithyrambiques sur la fiabilité de l’engin, agrémentées de savantes théories sur l’importance toute relative d’un potentiel moteur presque atteint. Maïté et Jean-Michel rétorqueront peut-être qu’un moteur peut tomber en panne quelques heures après son installation, expérience faite. N’empêche : j’avais l’air con.

Elle est drôle aussi parce que, contre toute attente, l’acheteur en question s’est dit plus intéressé que jamais : il avait de toute façon budgétisé l’achat d’un nouveau moteur et le prix de vente que je proposais restait correct même en y ajoutant cette bricole à 35.000 francs suisses. En outre et surtout, il s’est dit surpris en bien ("déçu en bien" serait de circonstance…) de tester en live combien l’Aiglon était sûr et facile à amener à un point choisi, même sans moteur.

Mais je suis surtout triste, bien évidemment. Parce que j’en viens à penser qu’il n’y a peut-être pas de hasard.

Jamais, en quatre ans de voyages partagés tous les deux à travers l’Europe et l’Afrique, le HB-EYP ne m’avait fait le moindre problème de moteur. Ni le moindre problème tout court, d’ailleurs.

Et c’est arrivé ce jour-là… Ce jour-là !

Ce jour du premier vol avec lui depuis que j’avais ramené le Comanche d’Autriche, soit depuis qu’il a dû partager son parking avec cet Américain de malheur qui lui prenait son vieux pote… le premier pilote depuis 1979 à avoir pris la peine de le relooker, à l’avoir bichonné et à avoir su le ménager. A l’avoir aimé, en somme.

Ce jour du premier vol avec quelqu’un que j’emmenais en vue de "vendre" mon (âme au diable ?) avion.

Je ne sais pas si l’âme d’un avion se trouve dans un segment, dans une soupape ou dans un arbre à came. Ce que je sais, c’est qu’il a bel et bien rendu l’âme...

Je suis même sûr que Papa Charly, comprenant que ce serait peut-être le tout dernier vol avec moi à son bord, a fait en sorte que ce soit le tout dernier de ses vols. Car on ne me fera pas en démordre : mon avion s’est suicidé !

Peut-être a-t-il songé à finir ces jours dans l’eau du Léman, pour que ses grosses gouttes bleues et blanches se sentent moins orphelines.

Je ne sais pas. Et ça, Stercki ne le saura jamais non plus.

Le Comanche est un avion fantastique. Fantastique, vraiment, avec ses 160 kt de croisière et son équipement d’avion de ligne. Son immatriculation "N37HE" comporte même (par hasard ?) l’année de naissance de mon père et le trust qu’il m’a fallu constituer pour l’acheter a derechef été baptisé "Papa Charly Aviation" ; comme s’il m’avait fallu m’empresser d’entamer l’écriture la suite de ce roman, de ce roman d’amitié ou d’amour, dont on m’avait tourné la dernière page, prématurément et par surprise.

Oui, le Comanche est un avion fantastique.

Il n’empêche… Ce nouveau compagnon de route a un très gros déficit affectif à combler.

En particulier depuis vendredi dernier.

Greg

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Les mots qui comptent...

On reconnaît le bonheur au bruit qu'il fait en sortant.

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