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9 novembre 2013 6 09 /11 /novembre /2013 00:00

la-peine-de-mort

J’aime les partisans de la peine de mort. Ce sont des cons faciles à repérer.


Ma dernière secrétaire, je l’ai engagée juste pour sa réponse à ma question sur le sujet.

 

Je voulais tester la façon dont elles affirmeraient leurs opinions sur une question aussi sensible sans connaître les miennes. Car une bonne secrétaire doit savoir s’imposer, tout en sachant y mettre les formes.

 

Et celle-là me dit sans hésitation : « Quand on voit la gueule de ceux qui sont pour, on ne peut qu’être contre !».

 

Vous commencez demain !

 

Reste que même si elle m’avait donné la seule réponse partisane que je peux entendre (« Je suis pour parce que je suis con… »), cela m’aurait dérangé de cohabiter dix heures par jour avec quelqu’un qui rêve de fonctionnaires bourreaux et qui soutient que couper un homme en deux est une pratique qui peut trouver sa place dans un Etat de droit.

 

Surtout juste quelques jours après avoir lu une réaction de lecteur à un article sur la peine de mort, dans la Tribune de Genève. Ce philosophe philanthrope écrivait :


« Je suis pour. Sachant qu'un dangereux criminel enfermé à vie, nourri logé, avec activité annexe coute (sic) cher à la collectivité. Où (sic) alors, remplaçons les expériences sur ces pauvres animaux de laboratoire et faisons avancer la science en expérimentons ou en prélevant des organes sur ces terribles criminels (laissé (sic) en vie végétative) qui avec l'aide de certains psychiatres pourrons récidiver en violant et tuant nos enfants et autres personnes innocentes. »

 

Je n'en croyais pas yeux.

 

Faut dire que le traumatisme est ancré : il vient de mon enfance.

 

Ça a commencé avec les chasseurs, dont mes parents étaient entourés par la force des choses, puisque j’ai grandi en Valais. Je ne comprenais pas comment on pouvait défendre avec objectivité le droit de tuer un animal bien portant qui ne nuisait à personne et qu’on trouve sur les étals de toutes les boucheries. Et je questionnais.

 

Immanquablement, on me parlait de « surpopulation animale », de «kératoconjonctivite-à-cause-de-la-consanguinité-de-certaines-espèces-qui-les-fait-se-jeter-en-bas-des-falaises », d'amour de la nature (sic!), de traque longue et pénible dès les premiers frimas matinaux, de la tradition, de l’ancienneté de l’art.

 

Et c'est toujours avec le même sentiment de frustration que je laissais ces « grandes personnes ». Je ne comprenais toujours pas pourquoi EUX ils se levaient à 4 heures du matin pour des poursuites qui s’annonçaient « longues et pénibles ». Jusqu'au jour où l'un des amis de mon père me dit : "Ben ouais, j’aime tuer. Puisque c’est légal, où est le mal à se faire plaisir ? » Il fut le premier à avoir mon respect. C’était franc, et évident.

 

Sauf que l'année suivante, il invita mon père à l'accompagner dans l’une de ses battues annuelles au Tchad... à braconner des lions. Il ne valait finalement pas mieux que les autres.

 

Un peu plus tard, vers mes sept ou huit ans peut-être, je me rappelle avoir ressenti une nouvelle incompréhension du monde des adultes, quand j’entendais certains d’entre eux se montrer soudain virulents à table, alors que tout le monde parlait calmement jusque-là.

 

Je me souviens de la discussion et de l’homme : un copain de mon père (mais que leur trouvait-il, lui qui était si bon et si tempéré ?) s’était mis à prester contre ces étrangers qui nous envahissaient peu à peu, mangeaient notre nourriture, volaient nos vieilles mères et violaient nos jeunes filles, mâtinant notre sang pur de leurs gènes méphytiques.

 

Soit, il devait avoir eu un problème avec quelqu’un… Mais non ! Il ne parlait que de généralités, de groupes dont il ne connaissait personne en particulier, de races, mais sans illustrer ses propos d’aucun exemple vécu.

 

L’enfant que j’étais ne comprenait pas qu’on puisse juger un groupe pour sa couleur de peau. Cet homme ne connaissait évidemment pas tous les noirs ou tous les arabes, alors qu’il y avait dans ma classe un Mamadou et un Mohamed ma foi pas moins sympas que les autres. Et que la seule fille que je détestais était une Favre, de Sion, qui me chipait mes récrés et qui était plus forte que moi… La preuve, elle est devenue lesbienne.

 

Quand je me suis rendu compte que ce genre de mauvais sentiments étaient ressentis contre toutes les autres minorités (homosexuels justement, handicapés, mécréants, femmes, etc.), ça a instillé en moi un agacement qui ne m’a plus jamais quitté.

 

Car à présent que je suis devenu une « grande personne » (merde !), j’avoue que je n’ai toujours pas ces réponses, malgré un métier d’avocat qui m’a confronté à ce que l’homme avait de pire en lui.

 

J’ai pu seulement constater que les chasseurs, les racistes, les homophobes, les misogynes et les partisans de la peine de mort, s’ils n’ont pas toujours toutes ces qualités en même temps, ont systématiquement un même discours résolument viscéral.

 

Et donc le débat : comment – et pourquoi – argumenter avec quelqu’un qui vous assène des pétitions de principe du genre : « les nègres sont inférieurs », « la place de la femme est au foyer », « les pédés sont des dégénérés » ou : « il faudrait prélever les organes des criminels pour faire des expériences scientifiques ».

 

Oui, j’aimerais beaucoup savoir ce que celui qui s’exprime sur un de ces sujets pense sur les autres. En réalité, je ne le sais que trop.

 

Je ne me souviens pas d’avoir jamais haï quelqu’un. Jamais. Mais je viens de me surprendre à mépriser ceux qui, comme lui, m’ont vomi pendant mon enfance leurs fantasmes de lynchage, de mise à mort et d’intolérance, sous le couvert hypocrite de bien-pensance et de morale.

 

La peine de mort est un sujet pratique pour connaître quelqu’un en quelques mots, un peu comme le chasseur de têtes qui pose des questions pièges, du genre « Quel est votre plus gros défaut ? » pour voir s’il a affaire à un idiot qui lui répond « Ma franchise ! ».

 

Faites l’expérience et interrogez successivement votre interlocuteur sur la peine de mort, les étrangers, les femmes, les homosexuels et la chasse. Vous découvrirez un melting-pot de mauvais sentiments entremêlés. Comme par hasard regroupés en une même personne.

 

Oh, je n’excuse pas les crimes, et encore moins les criminels-qui-commettent-des-crimes-affreux-sur-un-enfant.

 

J’ai deux petites filles adorables et celui qui s’aviserait de leur faire du mal n’oublierait jamais ma réaction, tant celle-ci serait disproportionnée. Et cela ne m’effraie pas une seconde d’assurer ici que je pourrais tuer sans hésiter un seul instant. Tout en me foutant comme de ma première capote de prendre de la prison pour ça.

 

On ne parle juste pas de la même chose, voyons !

 

Ma réaction de père n’a rien à voir avec ce que j’attends de mon pays et de ses valeurs. Et si vraiment j'ai perdu à ce point tout discernement que j'en suis venu à vouloir donner libre cours à mes pulsions vindicatives, que je ne demanderais pas à quelqu'un d'autre de le faire à ma place.

 

La justice ne doit pas venger. La vengeance – faire souffrir ceux qui nous ont fait souffrir – est une volonté animale qui doit être bannie d’un Etat, surtout de droit.

 

La justice doit prendre acte qu’un crime a été commis, neutraliser son auteur et le punir. Mais lorsqu’elle punit, elle doit se montrer irréprochable, sauf à se montrer aussi blâmable que le criminel qu’elle s’arroge le droit de juger.

 

L’Etat de droit, c’est le miroir d’une population, après des siècles de traditions bien établies. Dieu merci, ceux qui rêvent de voir démembrer un être humain ne sont qu’une minorité. Quand ils ont été majoritaires, ça a toujours été sur une période limitée, marquée par propagande étatique guère compatible avec la définition d’Etat de droit. La vermine juive ou les communistes pour le IIIème Reich, les communistes en Amérique, les chiens infidèles chrétiens pour le Djihad, les hérétiques pour l’Eglise, les cargaisons d’ « ébène » transportées par galères vers les champs de coton, les sorcières de l’Inquisition ou les sorciers africains qui rétrécissent les sexes masculins en savent quelque chose.

 

La justice, représentée par une Thémis portant une balance et une épée, a surtout un bandeau sur yeux… et c’est pour mieux voir (« On ne voit bien qu’avec le cœur », et hop, petit hommage habituel à Saint-Ex !).

 

Elle doit faire fi de la clameur populaire, de la colère, des médias. Elle doit réparation à la victime, mais en gardant son indépendance par rapport à elle.

 

De son côté, l’avocat a justement pour mission de forcer la justice à rester indépendante et sereine.

 

Il est le père intervenant pour son fils. Pour s’assurer que s’il est puni, qu’il ne le soit que pour ce qu’il a réellement commis. Il a peut-être volé, violé, tué, mais il n’a pas commis tous les délits de la terre.

 

Vous défendriez votre fils exactement comme cela, quoi qu’il ait fait. Peut-être lui en voudrez-vous, peut-être même le détesterez-vous pour ce qu’il a fait.

 

Mais posez-vous la question honnêtement : souhaiteriez-vous pour votre fils qu’on le coupe en deux parties, qu’on lui injecte un produit qui le dissoudra de l’intérieur ou qu’on lui passe une corde qui lui broiera les vertèbres cervicales ? Quoi qu’il ait fait, vous trouverez évidemment une telle sentence indigne d’un tribunal.

 

On ne peut pas vouloir cela pour son propre fils. Sauf à être un grand malade avec une pierre à la place du cœur.

 

Le vouloir pour le fils de quelqu’un d’autre serait du coup pas très honnête… Cela revient en réalité à mettre sur « off » toute envie d’honnêteté et de réflexion, au profit du plaisir que procurent ces sentiments forts que nous avons tous au fond de nous. Du viscéral.

 

C’est cette volonté affichée de chasser sciemment toute raison qui réunit les partisans de la peine capitale, les chasseurs, les homophobes, les racistes et les misogynes.

 

De tous ceux qui ont peuplé les « dîners de cons » de mon enfance.

 

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