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6 novembre 2013 3 06 /11 /novembre /2013 00:38

gomme-xxl-grosses-fautes.jpgJe n’aime pas le foot. Et d’une.


Mais quand je lis dans la Tribune de Genève que « GE/Servette a débuté l’année en fanfare », ce n’est pas le foot et encore moins les résultats de ce club de balle au pied qui m’escagassent les nerfs mais le rédacteur de cette sagace sentence, censé (et non l'horrible "sensé") savoir au moins rédiger un communiqué sportif.

 

Qu’on se le dise : débuter est un verbe intransitif. On ne « débute pas quelque chose », tout au plus « on le commence ». Ou on débute tout court.

 

Voici donc mes quelques autres sursauts (je m’en suis remis ;-)) à lire la presse de ces derniers temps.

 

Par acquît de conscience (et non acquis... on acquitte sa conscience comme une facture, on ne l'acquiert pas), j'ai pris quelques notes, ces derniers temps.


Toujours au sujet du Servette et dans le même journal récidiviste, il était écrit (le terme est un peu fort) « c’est du côté des mauvaises nouvelles que la coupe est pleine pour les Genevois ».

 

Non môssieur, la coupe n’a pas davantage à voir avec le Servette, qui n’en a plus ramené (participe passé invariable après « en ») depuis longtemps, qu’avec le français : à une époque où l’hygiène n’était pas ce qu’elle est devenue chez certains, les gens jetaient leurs ordures par les fenêtres, dans les cours intérieures typiques des vieilles villes. Jusqu’à saturation… d’où l’expression : « N’en jetez plus, la cour est pleine ! ». Il suffit de s’imaginer quelqu’un, même très agaçant, « jeter quelque chose dans une coupe » pour s’imaginer à quel point il est ridicule qu’elle se remplisse.

 

Pareil pour « faire long feu », d’ailleurs. L’image est jolie : les armes datant du temps où cette expression est née fonctionnaient avec des mèches imbibées de poudre noire, qui amenaient instantanément l’étincelle dans une culasse remplie de poudre et de balle(s), comme en rêvait l’enfant grec de Victor Hugo. Il arrivait toutefois qu’il plût (ça devait être à Genève…) et que la flamme choisît de ralentir, avant de mourir « à petit feu »... Une sorte de « pétard mouillé ». « Faire long feu » signifie donc « échouer, ne pas durer ». « Une association qui a fait long feu » est celle dont les associés ne sont pas parvenus (avec l'auxiliaire "être", on accorde les participes passés svp) à rester ensemble longtemps. « Ne pas faire long feu » n’a donc aucun sens !

 

Remarquez, l'expression « avoir plusieurs cordes à son arc » est paraît-il correcte (jadis, on disait seulement « avoir deux cordes à son arc »). Vous conviendrez cependant qu’elle est grotesque… On comprendrait qu’avoir « plusieurs cordes pour son arc » illustrât des talents polymorphes, mais tirer une flèche avec un arc qui aurait plus qu’une seule corde à la fois serait une gageure (prononcer « -ure », pas comme sur la TSR la semaine dernière) qui, au contraire, serait le signe d’une pitoyable mégalomanie.


Même le très sérieux Le Temps s’y est mis avec l’Apple TV qui, en raison du peu de chaînes qu’on y trouve, ne serait selon lui qu’une « boutique mal achalandée », plutôt que mal fournie, peu approvisionnée, pauvrement pourvue ou que sais-je encore en rapport avec l’offre qui y manque cruellement. Sympa pour les chalands (clients) en tout cas ! Je résilie de ce pas mon Apple TV.

 

Bon, et il y a le Gniolu du GHI qu'on a du mal à critiquer tant on a l'impression de tirer sur l'ambulance: "Ah oui j'suis bête ils préparent les visites guidées de la rue du Stand, autant pour moi !!!!!!". D’abord ces six points d’exclamation qui rappellent combien l’excessif est insignifiant. On est presque toujours sûr de trouver dans la même phrase que les lourdeurs du genre une grosse faute de français. Pas manqué : l’expression « Au temps pour moi ! » vient des exercices militaires où l’on marche au rythme de la fanfare et des tambours : lorsqu’un soldat se trompait, toute la troupe devait revenir « au temps » du début et recommencer. C’était donc « au temps pour lui », "autant" n'emportant guère que le vent.

 

Et que dire enfin (j'arrête là pour aujourd'hui) de l’acteur Mathieu Bisson, choisi pour le rôle de « Mitterrand à Vichy » sur France 2, qui dans une interview se montre cocasse de pertinence : « Il m’a fallu un peu de temps avant de réaliser que, après tout, je ne passais pas l’agrég’ et que je pouvais aussi me faire confiance, écouter mon instinct, tenter une approche plus intuitive » ? ...Eh bien qu’il ferait mieux de se fier à son instinct après qu’il aura passé son agrégation (après que + indicatif svp !) : « réaliser » ne signifie pas « se rendre compte » en français, mais seulement « produire » ou « vendre ». On réalise une œuvre, on réalise des titres en bourse, mais on ne réalise (malheureusement) pas qu’on s’est trompé (sans « s », sauf lorsque le « on » signifie « nous »).

 

En quelque trente mots (quelque est invariable dans le sens d'"environ"), l'acteur aura démontré l'approximation de sa maîtrise du français.


J’apprécie autant le français que l’évolution normale qui doit être la sienne. J’adore les néologismes inventifs, l’argot bien senti, les fautes dont certains jalonnent volontairement leurs discours pour qu’ils ne soient pas précieux, comme des oxymores qu’on sèmerait lorsqu’on veut surprendre l’auditoire. Et même la langue SMS est géniale, originale et créée ex nihilo par les jeunes, avec leurs mots et abréviations propres.

 

A l'inverse, l’erreur par fainéantise me tue, tout comme le délinquant qui enfreint la loi parce qu’il n’en a rien à faire, parce qu’il n’a pas de ligne de conduite et qu'il n'en a jamais eu de sa vie (je vous ai dit que "en" rendait le participe passé - "eu" - invariable? ;-). Je préfère nettement celui qui décide de commettre sciemment un délit en en assumant les risques, parce qu’il a décidé d’employer son intelligence au service d’un but, même odieux. Oui, j’ai plus de sympathie pour le voleur que pour l’assisté, pour l’escroc que pour le mendiant, pour l’auteur d’un meurtre passionnel que pour le chauffard ivre qui renverse un enfant. La gravité de la faute justifie certes, pour les tribunaux, une condamnation plus sévère. Le cheminement de pensée conduisant à une faute grave est cependant plus facile à comprendre qu’une négligence conduisant, par manque de droiture, à des conséquences aussi catastrophiques que prévisibles.


Pour bien écrire, il suffit d'une base de connaissance élémentaire, d'être attentif aux accords des mots, de se relire et d'ouvrir un dictionnaire ou de suivre un correcteur orthographique au moindre doute. C'est un effort tellement facile à faire que le manque d'attention porté à l'écriture d'un texte est toujours  perçu par son destinataire comme du dédain ("Je ne mérite même pas qu'il choisisse ses mots et qu'il relise ce qu'il m'écrit...").

 

Ecire sans rigueur c'est avoir pensé sans rigueur.


Mais les règles sont mouvantes, et souvent dans un sens stupide. C’est comme ces réformes du français qui trahissent les racines et le sens des mots dans un seul souci de niveler le niveau par le bas. Comme si on décidait que les pièces des puzzles devaient être toutes carrées parce que certains ont de la difficulté, qu'un puzzle est inutilement difficile et que tous le résoudrait plus rapidement s'il était découpé à la règle.


On permet dorénavant d’écrire « évènement » (au lieu d’événement) pour qu’il ressemble à avènement. La belle affaire : une fois qu’on sait que les deux mots ne s’écrivent pas de la même manière, on le sait ! Il faut en outre se souvenir que les deux mots ont été alignés sur « avènement » et non sur « événement »… Tout comme « règlement » et « réglementaire », qui peuvent s’écrire maintenant tous deux avec un accent grave, soi-disant (et non « soit-disant ») pour « simplifier », alors que « régler » garde obligatoirement un accent aigu...


Pareil avec une règle tarabiscotée par cette même réforme Rocard de 1990 : « Elles se sont laissées partir » peut s’écrire maintenant « Elles se sont laissé partir ». Super progrès ! Car ceux qui écriront « Elles se sont laissées battre » auront tout faux quand même !

 

La règle veut que l’on accorde le participe passé précédant un infinitif uniquement si le sujet fait lui-même l’action de l’infinitif. On doit écrire : « Elles se sont vues couler » car ce sont « elles » qui « coulent ». Mais « elles se sont vu dépasser » car ce ne sont pas « elles » qui « dépassent ». C’est une jolie règle de grammaire, originale mais facile à retenir; en autorisant à présent de ne pas accorder le participe passé précédant un infinitif quand il devait s’accorder (« Elles se sont laissé partir »), on complique tout inutilement, car accorder le participe quand il ne devait pas être accordé (« Elles se sont laissées dépasser ») restera faux. Quelle bande d’ânes...


Reste que j’ai beaucoup de tolérance pour les incorrections commises par les gens ; je ne les remarque même pas. Elles sont même parfois touchantes.


Sauf quand elles sont le fait de journalistes, responsables de la propagation pandémique de « l’écrit mou », ou de confrères avocats, payés plusieurs centaines de francs de l’heure pour avoir la décence d’éviter le « pensé mou ».


Dans le premier cas, je sursaute.

 

Dans le second (et non le « deuxième » puisqu’il n’y en a que deux), je me surprends à éprouver un plaisir dont je ne suis pas très fier : dans le jeu des forces en présence, la crédibilité de mon adversaire vient de prendre un sale coup sans aucune intervention de ma part, sur simple « double faute » de la sienne. Il ne s'en relèvera généralement pas.

 

Tout ça fait un peu vieux con, peut-être bien. Mais quel plaisir de présenter à un lecteur une oeuvre, même brève, où tout est pensé, précis, ciselé, rythmé. Que cela soit pour lui faire plaisir, pour le convaincre ou au contraire pour le démolir.

 

Ca n'est qu'une question d'efficacité : même mon interlocuteur ne se rendra pas compte des trucs de magicien qui ont été déployés pour que mon message touche exactement la cible qui lui était assignée. Il aura même souvent l'impression que l'opinion que je lui ai instillée vient de lui, que sa colère, sa joie, son enthousiasme, son dégoût, son indignation ou son empathie sont spontanés. C'est du grand art quand c'est bien fait.

 

Reste que si l'on ajoute aux trucs ci-dessus une ou deux dictées de quelques lignes bien choisies, l'écriture des nombres (on dit "page un" et non "page une"; on écrit deux cents, mais deux cent dix (sans s), etc.), des principaux mots composés et des mots courants réputés difficiles ("tout/tous"), ainsi que peut-être encore la conjugaison élémentaire et la révision des tournures de phrases du français commercial (dont les phrases de salutations le plus souvent absurdes), tous mes lecteurs seront capables d'écrire le français de manière plus que correcte en quelques heures tout au plus.

 

Oui, ceux qui y mettent du leur peuvent très spectaculairement changer de niveau d'écriture en quelques heures, quelles que soient leurs connaissances de départ ou leur expérience de la lecture, et même quelque réfractaires qu'ils soient a priori (sans accent sur le a puisque c'est du latin).

 

Il leur restera à atteindre ensuite un niveau d'excellence ; il s'apprend plus difficilement une fois adulte. Le rythme d'une phrase, la ponctuation à bon escient, le choix des mots pour leur force et leur sonorité, le sens de la concision, l'agencement subtil des idées et du discours en syllogismes discrets, l'adaptation de la forme au lecteur et aux ondes de force en présence.

 

Un professeur d'art oratoire me disait que choisir le beau plutôt que le bon, faire de la littérature quand il faudrait de la rhétorique de combat ("éristique") ou être bref, c'est préférer le boulanger qui fait délicieusement du mal au médecin qui fait douloureusement du bien. Il y a plein de jolies leçons du genre, qui me rappellent mes senseis successifs de karaté et les maximes qu'ils nous assénaient quand on s'y attendait le moins.

 

Tout ça, l'art oratoire au fond, fera peut-être l'objet d'un cours que je rêve de donner. Non que je m'estime arrivé au niveau d'excellence sus-évoqué (avec trait d'union alors que "susmentionné" n'en prend pas, grrr !), même après avoir gagné deux prix prestigieux de rhétorique et m'ouvrir jour après jour à écrire mieux que le veille.

 

Au moins ai-je appris à être sensible à cette musique, à cet art majeur qu'est l'expression - orale ou écrite - ; je me sens prêt à en promouvoir les perspectives, dont beaucoup semblent seulement ignorer l'existence.

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