Il y a des mots qui marquent, qui en appellent d’autres, qui font voyager dans ce qu’on enferme d’émotions et de non-dits.
Comme une musique sans parole, des paroles sans paroles somme toute, je vous livre pêle-mêle les chemins en méandres tortueux vers les rêveries qui furent les miennes depuis enfant, pavé des mots phares.
Je n’ai jamais eu d’idoles en chair et en os, mais j’en ai eu et j’en ai encore en lettres et en notes. Elles rejoindront peu à peu ces pages, au fur et à mesure qu’elles me reviendront, à l’image d’un journal du passé.
Leurs auteur ne sont pas même cités : seul importe ce qu’ils ont dit, écrit ou chanté, quelles qu’aient été leur réputation, leur légitimité ou ce qu’ils ont pu penser par ailleurs. Surtout que certains de ces extraits sont de moi…
La plupart du temps, il s’agit de figures de style donnant à des mots les moyens de faire voyager l’âme. Ces chrestomathies, ces peintures de l’esprit, reflètent – mais aussi appellent lorsqu’on les lit – ce que l’humain a de plus noble, de plus touchant ou de plus fort.
Elles méritent qu’une page entière soit consacrée à chacune d’elles.
Prenez ma main et suivez-moi...
D’abord quelques lignes de conduite, et autant de lignes de vie. Pour ne pas passer à côté des petites choses qui font qu’une vie est en fin de compte heureuse.
"On reconnaît le bonheur au bruit qu'il fait en sortant."
"On a tous deux vies. La seconde commence quand on se rend compte qu'on n'en a qu'une seule".
"Je crois que tout se résume à un simple choix: dépêche-toi de vivre, ou dépêche-toi de mourir."
"Le chemin le plus court entre deux points? Ce n'est pas la ligne droite, c'est le rêve".
...Et la réponse de ma fille de 6 ans, alors que je crânais en lui citant cette jolie pensée : "Si c'est le rêve, pourquoi alors tu veux que ce soit court ?"
"Ne dis jamais rien qui ne puisse être entendu par ton pire ennemi."
Ce très beau passage de chanson va dans le même sens : si la vérité est souvent ailleurs, ce n’est jamais le cas du bonheur :
"On croit les gens heureux
Parce qu'on ne les connaît pas
On ne vit pas chez eux
Leurs blessures ne saignent pas"
D'ailleurs, le bonheur des uns... n'est pas forcément celui des autres :
Pour la beauté du geste, un florilège de figures de style en quelques mots : j’en recense une douzaine. Que c’est bien écrit, pour une chanson.
Bateaux prisons, chargés d’ébène
Champs de coton et chants de haine
Chansons d’espoir, chansons d’adieu
La musique noire, elle était bleue.
La terre des hommes, la terre du feu
Celle qui a sacrifié ses dieux
Comme une orange elle était bleue.
Ce poème de Goethe me poursuit depuis le cycle d’orientation et je le sais par coeur depuis. Ni Michel Tournier ni Schubert n’y ont apporté quelque plus-value que ce soit. C’est un joyau qui se suffit à lui-même. Je me fais pleurer tout seul rien qu’à me le réciter.
Je vous le reproduis en entier, tellement ce texte est beau.
La traduction est la mienne. Elle est donc libre. J'ai mis en majuscules les interventions abominables du Roi des Aulnes à l'égard de l'enfant, qu'il va finir par tuer.
Ce qui est terrible, c'est qu'entre la première strophe, où le père tient l'enfant normalement "in dem Arm" (sous son bras) et le dernier où il l'agrippe de toutes ses forces ("in Armen/ in seinen Armen", deux fois au pluriel: "de ses bras, dans ses bras), la progression dramatique du délire de l'enfant est à couper le souffle. Le père sent son fils lui échapper, sans rien pouvoir faire pour lui. Le cauchemar absolu...
Wer reitet so spät durch Nacht und Wind ?
Es ist der Vater mit seinem Kind.
Er hat den Knaben wohl in dem Arm,
Er fasst ihn sicher, er hält ihn warm.
– Mein Sohn, was birgst du so bang dein Gesicht ?
– Siehst Vater, du den Erlkönig nicht !
Den Erlenkönig mit Kron’ und Schweif ?
– Mein Sohn, es ist ein Nebelstreif.
–
„DU LIEBES KIND, KOMM, GEH’ MIT MIR !
GAR SCHÖNE SPIELE, SPIEL ICH MIT DIR,
MANCH BUNTE BLUMEN SIND AN DEM STRAND,
MEINE MUTTER HAT MANCH GÜLDEN GEWAND.“
Mein Vater, mein Vater, und hörest du nicht,
Was Erlenkönig mir leise verspricht ?
– Sei ruhig, bleibe ruhig, mein Kind,
In dürren Blättern säuselt der Wind.
–
„Willst feiner Knabe du mit mir geh’n ?
Meine Töchter sollen dich warten schön,
Meine Töchter führen den nächtlichen Rhein,
Und wiegen und tanzen und singen dich ein.
– Mein Vater, mein Vater, und siehst du nicht dort
Erlkönigs Töchter am düsteren Ort ?
– Mein Sohn, mein Sohn, ich seh’ es genau,
Es scheinen die alten Weiden so grau.
–
„ICH LIEBE DICH, MICH REIZT DEINE SCHÖNE GESTALT,
UND BIST DU NICHT WILLIG, SO BRAUCH ICH GEWALT !“
MEIN VATER, MEIN VATER, JETZT FASST ER MICH AN,
ERLKÖNIG HAT MIR EIN LEIDS GETAN.
–
Dem Vater grauset’s, er reitet geschwind,
Er hält in Armen das ächzende Kind,
Erreicht den Hof mit Mühe und Not,
In seinen Armen das Kind war tot.
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Qui chevauche donc si tard, à travers la nuit et le vent ?
C'est le père avec son enfant.
Il entoure l'enfant de son bras,
Il le tient fermement, il lui tient chaud.
« Mon fils, pourquoi tu enfouis comme ça ton visage ?
Père, ne vois-tu pas le Roi des Aulnes?
Le Roi des Aulnes, avec sa couronne et sa traîne ?
— Mais mon fils, ce n’est qu’une traînée de brouillard...
— TOI CHER ENFANT, VIENS, VIENS AVEC MOI !
NOUS JOUERONS ENSEMBLE À DE SI JOLIS JEUX !
MAINTES FLEURS MULTICOLORES BRILLENT SUR MA PLAGE;
MA MÈRE A MAINTES ROBES DOREES...
— Père, Père ! Tu n'entends pas
Ce que le Roi des Aulnes me susurre tout bas ??
— Sois tranquille, reste tranquille, mon petit :
Ce n’est que le vent qui murmure dans les feuilles sèches.
— TU VAS VENIR AVEC MOI, DELICIEUX ENFANT ?
MES FILLES T’ATTENDENT DEPUIS LONGTEMPS ;
CE SONT MES FILLES QUI GUIDENT LE RHEIN DANS LA NUIT.
ELLES TE BERCERONT, ELLES CHANTERONT ET DANSERONT POUR TOI.
— Père!! Père!! Tu ne vois donc pas, là-bas
Les filles du Roi des Aulnes dans ces lieux sombres ???
— Mon fils, mon fils, je vois tout ça très bien :
Ce ne sont que les vieux pâturages qui paraissent si gris !!!
— JE T'AIME. TA CHARMANTE FORME ME PLAÎT.
ET PUISQUE TU N’ES PAS VOLONTAIRE, JE VAIS DEVOIR EMPLOYER LA FORCE !
— Père!!!, Père!!! Il m’a attrapé!!!
Le Roi des Aulnes me fait mal !! »
Le père frissonne d’horreur, il cravache son cheval.
Il tient dans ses bras l'enfant délirant ;
Atteint la cour du château exténué et en proie à la détresse.
Dans ses bras, l’enfant était mort.
Ce poème terrible de Goethe me fait penser à une chanson, qui m'a saisi en plein vol alors que j'écoutais la radio, aux commandes de mon avion lors d'un trajet vers le sud de la France.
Je me demandais où le chanteur voulait en venir, en s'adressant visiblement à son enfant, sa fille.
Avant de comprendre...
C'est dur de rester concentré sur un avion, dans ces conditions. Surtout quand on a une fille, en plus paisiblement endormie sur le siège d'à côté. Et qu'on imagine, "sous ses printemps pleins de grâce, des angoisses terribles qu'on n'a peut-être pas su déceler et "éventer" à temps".
"In seinen Armen, das Kind war tot"...
Mon enfant, mon air pur
Mon sang, mon espérance
Mon ferment, mon futur
Ma chair, ma survivance
Tu ne perpétueras ni mon nom ni ma race
Tout ce que j'ai bâti, je l'ai rêvé en vain
Je quitterai ce monde sans laisser de trace
Tes yeux ne s'ouvriront sur aucun lendemain
L'aiguille
Dans ta veine éclatée
Ta peau déchirée
L'aiguille
Dans ton corps mutilé
Crucifié
L'aiguille
De nos espoirs trahis
Te clouant dans la nuit
Sans vie
Mon arbre, mon petit
Qui peut dire à l'avance
Où le bonheur finit
Quand le malheur commence
Le drame de la vie, sans auteur ni dialogue
Qui s'écrit à huis clos se joue à notre insu
Les plaisirs innocents n'en sont que le prologue
Les paradis promis ont l'enfer pour issue
L'aiguille
Dans ta veine éclatée
L'aiguille
Dans ton corps mutilé
Crucifié
L'aiguille
De nos espoirs trahis
Te clouant dans la nuit
Sans vie
En regardant fleurir
Tes printemps pleins de grâce
Je n'ai pas sous tes rires
Eventé tes angoisses
Peut-être pas non plus assez dit que je t'aime
Ni suffisamment pris le temps d'être avec toi
Que tu as dû souffrir en secret de problèmes
A présent c'est mon tour perdu dans mes pourquoi
L'aiguille dans ta veine éclatée
Ta peau déchirée
L'aiguille
Dans ta veine éclatée
L'aiguille
Dans ton corps mutilé
Crucifié
L'aiguille
De nos espoirs trahis
Te clouant dans la nuit
Sans vie
L'aiguille
Il y a décidément autre chose, dans la chanson française, que "Un homme/une femme - je t'aime/tu m'aimes"... Des émotions formidables.
Ce passage du Petit Prince est cité par tous lettrés ou pas, comme référence littéraire, à tel point qu’elle m’est devenue overheard. Mais j’ai vibré sur le Petit Prince quand j’en ai composé la musique originale lors de sa mise en scène au collège ; j’ai vibré sur El Principito lorsqu’il m’a appris l’espagnol en même temps que les premières chansons presque à texte de Ricky Martins que j’écoutais en boucle. J’en vibre encore quand je relis une planche maçonnique que mon père avait écrite, autour de cette phrase, pour décrire tout l’amour de l’Autre qu’il avait en lui, ici à l’occasion d’une rencontre avec un Homme Bleu du désert.
On ne voit bien qu’avec le cœur, l’essentiel est invisible pour les yeux.
« Cent vingt millions de secondes ». Mes adorables lecteurs sauront à quoi je fais ici allusion. C’était « quatre ans » (120'000'000 de secondes), que j'ai décrits il y a vingt ans.
Tout Hugo me parle, et je ne manque jamais d’aller le saluer quand je vais voir Chopin et sa tombe voisine. Je me souviens que mon amie Nicole, récemment nommée directrice d’école à Sion (je suis fier de toi, ma chérie !), est celle qui m’a initié aux « Fondations » d’Asimov, à la Chanson de Roland, à Confucius, à l’illettré Amazonien-qui-avait-tout-compris-de-la-vie… et aux Odes et Epodes d’Hugo, avec cet « Enfant » de la guerre, terrifiant.
Qui pourrait dissiper tes chagrins nébuleux ?
Est-ce d'avoir ce lys, bleu comme tes yeux bleus,
Qui d'Iran borde le puits sombre ?
Ou le fruit du tuba, de cet arbre si grand,
Qu'un cheval au galop met, toujours en courant,
Cent ans à sortir de son ombre ?
Veux-tu, pour me sourire, un bel oiseau des bois,
Qui chante avec un chant plus doux que le hautbois,
Plus éclatant que les cymbales ?
Que veux-tu ? fleur, beau fruit, ou l'oiseau merveilleux ?
- Ami, dit l'enfant grec, dit l'enfant aux yeux bleus,
Je veux de la poudre et des balles.
Comme la musique de son copain Chopin, les nuits de Musset m’ont longtemps hanté, surtout celles de mai avec leur sublimissime passage du pélican. J’en pleure à chaque fois…
Les plus désespérés sont les chants les plus beaux,
Et j'en sais d'immortels qui sont de purs sanglots.
Lorsque le pélican, lassé d'un long voyage,
Dans les brouillards du soir retourne à ses roseaux,
Ses petits affamés courent sur le rivage
En le voyant au loin s'abattre sur les eaux.
Déjà, croyant saisir et partager leur proie,
Ils courent à leur père avec des cris de joie
En secouant leurs becs sur leurs goitres hideux.
Lui, gagnant à pas lents une roche élevée,
De son aile pendante abritant sa couvée,
Pêcheur mélancolique, il regarde les cieux.
Le sang coule à longs flots de sa poitrine ouverte ;
En vain il a des mers fouillé la profondeur ;
L'Océan était vide et la plage déserte ;
Pour toute nourriture il apporte son cœur.
Sombre et silencieux, étendu sur la pierre
Partageant à ses fils ses entrailles de père,
Dans son amour sublime il berce sa douleur,
Et, regardant couler sa sanglante mamelle,
Sur son festin de mort il s'affaisse et chancelle,
Ivre de volupté, de tendresse et d'horreur.
Mais parfois, au milieu du divin sacrifice,
Fatigué de mourir dans un trop long supplice,
Il craint que ses enfants ne le laissent vivant ;
Alors il se soulève, ouvre son aile au vent,
Et, se frappant le cœur avec un cri sauvage,
Il pousse dans la nuit un si funèbre adieu,
Que les oiseaux des mers désertent le rivage,
Et que le voyageur attardé sur la plage,
Sentant passer la mort, se recommande à Dieu.
Un de ces autres moments des « Cent vingt millions de secondes » qui m’émeut encore tout seul.
Je me demande avec qui je parlais, il y a une plus d’une vingtaine d’années, sur le plus beau mot allemand à mon goût. Nicole à nouveau ? Je ne sais plus. Nous étions en tout cas d’accord sur « vertraut », doux à entendre et magnifique à comprendre : « intime ». J’ai appris par cœur cette chanson de Herman van Veen lors de mon premier échange scolaire en Allemagne. Elle véhicule désormais de bien jolis souvenirs.
Ein Fenster ist ein Loch
Ein Glas durch das man schaut
In den Hof
Wo alles so vertraut
Encore un texte chanté peu connu mais remarquable de simplicité et de symbolisme. Mine de rien, ça n’a rien à pâlir à la comparaison avec Victor Hugo : de l’émouvant sans sensiblerie, des mots concis ciselés dans l’acier, des figures de style quand il les faut et une structure de texte parfaite. Par acquît de conscience, quels que soient vos goûts, je vous invite à allez l’écouter sur internet : vous la trouverez illustrée par une voix inégalable dans ce registre.
Ne m’enterrez pas encore
Je ne suis pas mort, je dors
Et n’encombrez pas ma mémoire
De vos regrets de vos histoires
Je dors
Si quelque part, sait-on jamais
J’avais un ami qui m’aimait
Tant pis, qu’il m’oublie
Je dors.
Maître des ombres et des lumières
Combien dure une éternité
Combien de fois faudra-t-il faire
La même route pour arriver
Combien de lunes à disparaître
Combien d’hommes encore à renaître
En attendant, je dors.
Ces deux prochains textes de chanson n’ont peut-être pas la dimension universelle de la littérature, mais ils me touchent. Le premier parce que je m’y retrouve. Le second pour y retrouver mon père et le sentiment d’avoir perdu du temps à m’imprégner de ses qualités, alors qu’il était encore vivant. C’est fou comme ceux qui l’ont connu l’ont adoré et comme il est important aux yeux de mes filles, qui ne l’ont pourtant même pas connu.
J'ai toujours dansé sur les vagues
Quand on croyait que je sombrais,
Ma vie avait l'air d'une blague
Et pourtant c'était vrai.
J’ai pris tous les avions du monde
Dormi dans tous trains de nuit,
Aimé dans dans des bordels immondes
Des femmes aux cheveux gris.
Je vous ai bien eus.
Je me suis fait des jours de fête
Eclaté des fusées d'amour
Comme je vais faire sauter ma tête
A l'aube du dernier jour.
Je vous ai bien eus.
Je ne vous ressemblais pas
Vous ne m'avez pas cru.
Je vous ai bien eus."
et:
Ils avaient la couleur du fer
Passez noirs pas assez gris
Un ciel blanc barré d'un éclair
Et une tendresse infinie.
Si j'avais été moins fier
Si j'avais fait un pas vers lui
Au lieu de le fuir et me taire
J'aurais mieux compris ma vie
Et si c'était à refaire
Si j'étais debout devant lui
C'est fou le temps, le temps qu'on perd
J'aurais deviné ma vie
Dans les yeux de mon père.
Si j'avais été moins fier
Ne pas me croire meilleur que lui
Au lieu de me cacher sous terre
D'aimer ma mère plus fort que lui
Si seulement c'était à refaire
Je sais ce qu'il a ressenti
C'est fou le temps, le temps qu'on perd
J'aurais tout appris de lui
Dans les yeux de mon père.
Et ces quelques paroles de sage.
C'était Dominique Valera, lors de ces stages d'été que je faisais avec lui chaque année à Cavalaire-sur-Mer, depuis une trentaine d'années.
Nous étions tous des avancés et il nous réveillait à 3 heures du matin pour faire des coups de poing basiques, des oï tsukis tout cons, sur la plage avec l'eau à la hauteur de la poitrine.
Et lorsque l'un de nous trouva le courage de lui demander à quoi cela servait de faire 10'000 fois le même mouvements que nous connaissions tous déjà depuis dix ans, il nous dit:
"En karaté, tu fais un mouvement 10'000 fois, et tu connais le nom du mouvement !
Tu le fais 100'000 fois et tu commences à ressentir comment fonctionne le mouvement !
Et tu le fais un million de fois, et c'est à ce moment-là, et à ce moment-là seulement, que tu te rends compte que tu ne connais pas le mouvement".
Je me souviens aussi :
"Cette ceinture noire, c'est ton passeport pour commencer le karaté".
Cet homme m'a marqué.