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5 novembre 2013 2 05 /11 /novembre /2013 14:16

Concours international d'art oratoire Maurice Garçon - Paris

Thème: Le Silence

 

Paris, le 26 août 1998

1er Prix ex aequo

 

Plaidoirie de Me Grégoire Rey

Lauréat du Prix d'art oratoire Michel Nançoz 1998

 

Sujet: "Sois belle et tais-toi !"

 

 

"Je t'adore à l'égal de la voûte nocturne

Ô vase de tristesse, ô grande taciturne" 

Ah bravo ! Bravo aux plus perspicaces d'entre vous qui auront su déceler, dans ces vers de Baudelaire, le mépris sécrété par un être misogyne et grossier !

"Je t'adore, ô grande taciturne", c'est: "Sois belle et tais-toi"...

Mais est-ce vraiment aussi méprisant qu'il y paraît? Etre taciturne n’est-ce pas plutôt, pour Baudelaire, être sublime?

"La femme, écrit-il ailleurs, accomplit une espèce de devoir en s'appliquant à paraître surnaturelle. L'unité abstraite obtenue par la poudre de riz rapproche immédiatement la femme de la statue, c'est-à-dire d'un être divin et supérieur".

Et le poète va plus loin car pour lui et pour nous les hommes, ce qu'il y a de profond et de vertigineux dans le divin n'est rien en comparaison du regard silencieux d'une femme:

"Je sais qu'il est des yeux des plus mélancoliques

Qui ne recèlent point de secrets précieux

Beaux écrins sans joyaux, médaillons sans reliques

Plus vides, plus profonds que vous-mêmes, Ô Cieux!" 

Alors quoi, lorsqu'il écrit ainsi "Sois charmante et tais-toi" Baudelaire serait un sale misogyne ? Laissez-moi vous dire que je connais bien des femmes qui auraient aimé être aimées par un tel misogyne...

 

 

Messieurs les membres du Jury,

Mes chers Confrères,

Messieurs,

                   ...mais avant tout vous, Mesdames, oui Vous, Mesdames, à qui je réserverai aujourd'hui – faites-moi confiance! – une place de choix et un traitement de faveur.

...Car si vers la divinité céleste et silencieuse du Très-Haut s'élèvent les prières des hommes, ses adorateurs... de même, vers la divinité humaine et silencieuse de la femme s'élèvent les poèmes des hommes, ses adorateurs...

Oui, la femme est divine, et Dieu en est jaloux...

Il est vrai que la concurrence est déloyale entre un être aussi charnel et un autre, aussi désincarné : la beauté des femmes consacre le triomphe du naturel sur le surnaturel...

De l'existence sur l'essence !

De la créature sur le créateur !

On comprend que Dieu s'en soit toujours méfié, défié au point même de choisir ses apôtres parmi les dépositaires du seul sexe fort.

Oui, Dieu déteste tout ce qui est naturel dans la femme:

Ah! La femme a le droit d'enfanter... Histoire de souffrir, sans doute.

Mais le plaisir - tout aussi naturel - est quant à lui l'apanage du Diable !

Pour donner un fils à Marie, Dieu a cru bon faire appel à une entité émasculée.

Quelle horreur que d’imaginer Marie vivre sa condition de femme !

La chair est un péché d'une telle atrocité que Pie IX croit utile de proclamer la conception immaculée.

C'est un duel (!) entre Pie IX et Baudelaire, entre cette bulle papale soutenant l'insoutenable et l'encyclique païenne que sont les Fleurs du Mal, chantant les vertus du plaisir.

Même les hommes, c'est tout dire, Dieu ne les tolère dans ses églises que chastes.

Ou castrés.

Dites-moi, qui (!) trouve la femme abominable?

Quelle conversation pourriez-vous bien avoir avec Dieu, alors que ce dernier n'en veut pas?

Eh oui, cela fait 2000 ans que vous avez Dieu en partie adverse!

La chrétienté ne débute-t-elle pas avec des apôtres qui, sauf erreur ou omission de ma part, sont exclusivement des hommes ?

Les prêtres, ces chantres de Dieu, ne sont-ils pas eux aussi élus parmi les dépositaires du seul sexe fort?

"Femme, tu es la porte du Diable ! vous dit Tertullien. C'est à cause de toi que le fils de Dieu a dû mourir; tu devras toujours t'en aller vêtue de deuil et de haillons"!!

La première épître de Paul – de Saint(!)-Paul - aux Corinthiens énonce elle aussi une terrible et assassine pétition de principe:

"L'homme est le chef de la femme, voilà pourquoi la femme doit avoir sur la tête un signe de sujétion."

L’Eglise a même jusqu’à récemment été prétendu – en gardant son sérieux - que la femme n'avait pas d'âme, jusqu'à ce "Concile de Trentes", que les faux-dévots ont aussitôt surnommé le "Concile des tentes".

Voyez comme on vous traite, Madame!

Paroles de prêtres, direz-vous, car ils ignorent tout des femmes.

Ecoutez plutôt Baudelaire à nouveau, lui qui les connaît si bien:

"Femme, tu es abominable!", lui rappelle-t-il. Y eut-il jamais plus belle déclaration d'amour?

Oui : abominable, "ab omine", ça veut dire "impie pour Dieu" ! Ça veut dire "Prends garde à toi: Dieu te déteste parce que tu lui fais ombrage!".

 

                   Mais il faut bien admettre que Dieu a déteint sur ses ouailles, sur nous autres les hommes.

                   Voyez comme on vous a traitées, Mesdames!

Le code justinien vous a mises sous tutelle en proclamant votre imbécillité.

PROUDHON estimait que vous aviez les 2/3 de la force, les 2/3 de l'intelligence et les 2/3 de la morale d'un homme, et n'en valiez ainsi que les 8/27èmes.

Et même après la révolution française et ses droits de l' « homme », BALZAC rappelait que vous restiez une propriété mobilière, la possession valant titre.

Non, Mesdames, ne répondez pas: on ne dialogue pas avec la bêtise!

 

Qu'y a-t-il de mieux à faire, dans ces conditions, je vous le demande, que se la jouer à la Plutarque, qui voyait dans l'art de se taire le secret de l'art de convaincre ?

Tout comme sait le faire le confident ou le thérapeute qui, dans le mystère de son silence, tient le parleur à sa merci.

                   Tout comme sait surtout le faire Dieu lui-même, qui n'est puissant que lorsqu'il est absent et crucifié lorsqu'il se montre !

Oui, Dieu est omnipotent et il se tait. La femme est divine et elle ne saurait donc faire moins : « Sois belle et tais-toi ! »

 

                   Et puis, pourquoi voudrait-elle, redondante, ajouter la parole à la beauté, cette même beauté qui la rend maîtresse du monde?

C'est aussi absurde que les hommes qui, se trompant d'armes à leur tour, ont tenté de briller par l'effet de leur beauté. Narcisse, Adonis, Dorian Gray s'y sont brûlés eux aussi.

Chacun sa route, chacun son chemin. Chacun son truc.

On ne lutte pas contre la Nature : elle est invincible. Et la Nature a fait de la beauté le privilège des femmes.

Alors quelle sagesse de la part de celles qui auront su refuser la parole que des hommes bien intentionnés leur offraient.

Ecoutez, écoutez une Yourcenar, devant ces 39 hommes : elle affirme, contre toute attente, que les reines des salons déchoiraient de leur souveraineté féminine en participant aux institutions des mâles, plutôt qu'en inspirant ces derniers.

Et sur ces mots, elle leur tourne les talons et se tait à jamais.

Quel magnifique « Sois belle et tais-toi » !

 

                   Mais non! Hélas! O Tempora O Mores!

                   Regardez avec moi ces mêmes institutions qui se pervertissent de scrupules pseudo-égalitaires.

                   Pleurez avec moi les irréductibles Landsgemeinde de ma chère Helvétie, ces assemblées communales des cantons primitifs, ces démocraties directes où les hommes, les hommes seulement, vont voter à main levée, depuis mille deux cent nonante et un (!) devant le café du village.

Eh bien figurez-vous que depuis quelque temps, les femmes sont admises dans les Landsgemeinde !

Avec les hommes.

Comme eux, on vient de leur donner le droit de hurler, de vociférer, d'étaler des lieux communs contre tel décret que personne ne comprend, le tout dans l'entrechoquement vulgaire des chopes de bières.

Quel progrès. La beauté vautrée dans la fange !

                   Ah! Elles sont devenues citoyennes à part entière !

Mais si répondre au mépris par des mots est un réflexe légitime, n'est-ce pas aussi le plus contre-productif: du sanctuaire de leur foyer, où les femmes pouvaient par leur charisme subtil infléchir le cœur et l'esprit des hommes, elles sont devenues leurs égales.

Et donc leurs concurrentes.

Elles ont troqué le pouvoir de leur beauté contre quelques palabres futiles.

Du blabla, rien que du blabla bon pour les concierges et autres fondés de couloirs !

Ce marché de dupes les perdra !

Mais qu’elles se taisent, enfin !!

 

                   Non, Mesdames, le salut n’est pas où vous le pensiez.

                   Je vous l’ai trouvé : Il porte le nom charmant d'une courtisane grecque, d’une hétaïre, d’une putain, certes, mais quelle divinité à elle seule : c’est la jeune Phryné !

                   Maîtresse du sculpteur Praxitèle, beauté et source de beauté: accusée de blasphème par un tribunal de la morale, elle aurait perdu son procès si, mal conseillée, elle avait tenté d'argumenter son choix de vie... par la parole.

Mais son avocat, Hypéride, a tout compris pour elle : pour convaincre cet aréopage de vertueux magistrats, il a seulement retiré la robe de sa cliente, la dévoilant dans toute son enivrante simplicité. Nue.

Et il l'a fait acquitter: il avait touché juste !

 

                   Eh bien Phryné, c'est toutes les femmes de tous les siècles, et aujourd'hui c'est moi qui leur fais office d'Hypéride.

Alors, à sa suite, je les invite à proscrire tout ce qui, à l'instar de la parole, ne peut que travestir la puissance de leur beauté.

               D'où ce conseil d'amant, ce conseil d'ami, ce conseil de poète. Ce conseil d'avocat (!) : "Sois belle et tais-toi!"…

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